jeudi 11 octobre 2007

Simba - Déroulement d'une "station"

Jeudi 11 Octobre,

Depuis notre dernier "post", notre rythme de vie s'est encore accéléré. Si la routine s'est installée, c'est une routine d'effervescence continue. Nous alternons jours sans soleil et nuits sans sommeil. J'exagère, mais à peine. Il est vrai que ces deux derniers jours nous ont offerts de magnifiques couchers de soleil…

Revenons un peu plus en détail sur ces dix derniers jours très actifs. Nous avons donc choisi deux sites contrastés, qui ont été baptisés Bruxelles et Liège, du nom des deux villes où sont situées les principales universités dont nous dépendons. Une troisième station aurait pu être appelée Louvain-la-Neuve, Martin dépendant de l'Université Catholique de Louvain, mais il n'y a que deux stations… Le plus étonnant est que cette dénomination a été reprise par nos amis américains. Cela étant nous sommes allés une étape plus loin aujourd'hui en rajoutant des petite tâches de couleur noires, jaune et rouge au blanc immaculé de la banquise. Ainsi, les couleurs de la Belgique fédérale flottent à nouveau, 110 ans après l'hivernage de la Belgica, sur ce même morceau de banquise, perdu au-delà du 70ème parallèle sud.

Nous échantillonnons ces deux stations tous les cinq jours suivant un cycle bien établi. 1er jour: Bruxelles, deuxième jour: laboratoire, troisième jour: Liège, quatrième et cinquième jour: laboratoire, et puis nous recommençons le cycle dans le même ordre. Aujourd'hui nous avons débuté notre troisième cycle en allant à Bruxelles (10 min en moto-neige, les bouchons sont rares). Les jours de "station", c'est-à-dire les jours où nous échantillonnons la glace peuvent être éprouvants. Il y a quatre jours, lorsque nous avons échantillonné Liège, le thermomètre augmenté du coefficient de refroidissement dû au vent affichait des température inférieures à - 40°C. Deux jours avant, nous étions restés près de 14 heures d'affilée sur la glace par -30°C. Ces jours de stations sont longs. Réveil avant 7 heures et à 7h15 nous chargeons dans un filet le gros du matériel. A 7h30 nous prenons un petit déjeuner, préparons quelques "tartines" et c'est séance d'habillage (entre 3 et 4 couches de vêtements pas forcément très légers). A 8h 30, tout le monde est sur la glace et nous arrimons tout notre matériel (200 kg de matériel environ sur trois traîneaux tirés par deux motos-neige). En général, il faut deux allers-retours sur le site pour amener matériel et personnel. Une fois arrivé sur le site, nous mettons un peu d'ordre dans les caisses sur la zone de déchargement, et nous commençons à transporter une partie du matériel vers notre site de prélèvement "propre". Une des grandes innovations de nos recherches est de travailler sur le fer dans et sous la glace. Ceci implique d'éviter toute contamination en fer de notre site. Ceci pose un problème: tout ce qui nous entoure, et en particulier le bateau, contient du fer et est susceptible de "contaminer" notre site.

C'est également vrai, pour le carbone, le CO2 et d'autres éléments que nous analysons. C'est pour cela, que nous avons choisis des sites de prélèvement "propres" éloignées du navire, et où seuls les membres de notre groupe (et occasionnellement quelques manchots) peuvent accéder après avoir revêtu une combinaison propre. Il est bien évident que les motos-neige ne peuvent
accéder à notre site; nous devons donc transporter une partie de notre matériel à la main.

Pendant que certains transportent et préparent le matériel, d'autre s'occupent d'équiper la zone en électricité, et c'est la traditionnelle étape de tirage de rallonges électriques sur plusieurs centaines de mètres et de démarrage de groupe électrogène récalcitrant (il nous fait systématiquement payer ses nuits passées à - 20°C). Mais le pire est encore devant nous, c'est la traditionnelle séance d'habillage en tenue propre (ou peau de Jeroen). C'est une petite combinaison quasi-intégrale en tissu léger. Les peintres s'en serve pour peindre, par exemple. En temps normal, ce n'est pas très contraignant à enfiler, mais en tenue polaire, c'est nettement plus délicat. Par des jours de grand vent, nous portons tellement de couches de vêtements, que nous pouvons à peine bouger la tête. En plus, pour des raisons de sécurité, nous devons porter des PFD (Personnal Floating Device - équipement personnel de flottaison) c'est-à-dire des combinaisons ou vestes assurant la flottaison ou un simple gilet de sauvetage. En ce qui me concerne, j'ai opté pour ce qui me paraissait le plus souple et plus léger, c'est-à-dire un gilet de sauvetage à gonflage automatique. Je porte donc trois couches de vêtement thermiques, mon blouson polaire grand froid (qui contient une feuille d'aluminium qui à tendance à se régidifier par grand froid) avec pas mal de choses dans les poches, plus un gilet de sauvetage avec ses cartouches de gaz. Par-dessus, je dois donc enfiler une combinaison propre quasi intégrale. Tout cela avec deux paires de gants, totalement incompatibles avec les petites fermetures éclairs des combinaisons. Il est bien évident, que les bottes "grands froid", ne rentrent pas dans la dite combinaison. La première étape est donc d'enlever ses chaussures, ce qui est une opération particulièrement pénible quand on a déjà du mal à se plier en deux, et délasser les dites chaussures avec les gants. Une fois sur deux, nous nous retrouvons en chaussettes dans la neige, un bon départ pour une journée à -30°C.

La deuxième difficulté est ensuite d'enfiler cette combinaison qui ne pense qu'à s'envoler avec le vent, puis de passer ses mains dans les manches et la remonter sans qu'elle craque. En général, il faut se faire aider pour cette délicate opération, car si nous achetons les plus grandes tailles existantes (XL), elles sont bien évidemment trop petites, pour un être normalement constitués qui est habillé pour les sports d'hiver. Cela étant, après dix bonnes minutes de bataille et de jurons, la combinaison est enfilé. Reste l'avant-dernière étape. Nous avons bien évidemment de bonnes chaussures prévues pour marcher dans la neige, avec des semelles en caoutchoucs sculptés pour éviter de glisser. Mais celles-ci sont contaminées par le bateau. Pour être propre, il faut donc enfiler par-dessus des sacs plastiques. Une fois la semelle de nos chaussure optimisée pour la neige emballé dans un plastique thermo soudable bien lisse, elle devient subitement beaucoup moins adhérente. Heureusement que nous n'avons pas à marcher sur des surface glissante comme de… la glace. Et bien si justement. L'ajustage des sacs plastiques se fait avec du "Duck" Tape, qui lui non plus n'adhère plus vraiment passé les -15°C et qui est particulièrement facile à découper avec des gants.

Parlant de gants, il est bien évident que nos gants pour le froid ne sont pas propres. Il nous faut dons par-dessus mettre des gants de laboratoire (en général c'est donc trois couches de gants superposés que nous portons), l'idéal pour les petites manipulations, comme changer les agrafes d'une agrafeuse récalcitrante et enneigée avec 50 km/h de vent et -18°C.

Une fois tout le monde habillé, l'électricité et le matériel en place (il est déjà 10-11 heures du matin), la station proprement dite commence. Jeroen, part en éclaireur délimiter la zone avec des drapeaux et échantillonne la neige tant que personne ne l'a foulé. Puis c'est le démarrage du carottage. Le carottage requière trois personnes. Il faut dire que notre carottier est relativement ambitieux, par rapport aux carottiers utilisés traditionnellement pour la glace de mer. Alors que ceux-ci sont généralement en plastique avec une section de 10 cm, le notre est 50% plus volumineux et 4 à 5 fois plus lourd car en métal traité. A plus gros carottier, plus gros moteur évidement. Aux commande de l'opération, Jean-Louis, qui la plupart du temps se charge du carottage proprement dit, c'est-à-dire de tenir le moteur qui ne demande qu'à vous faire tourner avec vous. Le carottage est une opération un peu physique qui a l'avantage de tenir au chaud. Il faut évidemment, se tenir un peu éveillé, pour éviter qu'une manche, ou un câble ne se prenne dans la rotation du carottier, ou pour éviter que des pièces du carottier, voire tout le carottier, soit emporté dans les trous que nous creusons dans la glace vers 2800 mètres de fond, tout cela en étant le plus propre possible. L'assemblage et le désassemblage du carottier, maintes fois répétés, demande un peu de travail d'équipe et de patience, car avec l'eau de mer qui gèle rapidement autour de certaines pièces, celles-ci montrent bien peu de volontarisme pour s'emboîter les unes dans les autres.

Une fois la carotte de glace extraite, il faut soit effectuer des mesures simples sur elles, la découper, ou l'emballer. Même l'emballage, peut poser des problèmes, il semble que ce soit la partie la plus délicate de toute la station, car Jean-Louis défend à toute personne n'ayant pas plusieurs années d'expériences et au moins un doctorat en science la manipulation des agrafeuse dont nous nous servons pour fermer les sacs plastiques. Il faut dire que nos deux agrafeuses sont soumises à des conditions d'utilisations un peu "hors - limites" et qu'elles s'enrayent facilement. Le désenrayage de ces petites machines délicates est cauchemardesque sur le terrain. Une fois le premier trou percé, une autre équipe se met en action qui va s'attaquer à un autre défi: prélever l'eau sous la glace. Prélever de l'eau n'est pas particulièrement un défi, c'est la garder à l'état liquide par des températures inférieures à -15° qui s'avère un peu plus délicat. Car cette eau de mer sous la glace est à son point de fusion (-1.8 C°), c'est-à-dire qu'elle est prête à geler instantanément si on la soumet à des températures inférieures -1.8°C. Hors, au dessus de la glace, il ne fait pas -1.8°C, mais -18°C. Autrement dit, ce n'est pas toujours évident d'évacuer les cristaux de glace qui se forment dans les tuyaux ou la pompe.

Fréquemment, des bouchons de glace se forment quelque part dans les tubes, et il faut alors lutter pour que le pompage reparte. Le tout en étant propre. Le petit plus c'est qu'évidemment de l'eau dégouline sur les doigts, et les gants mouillés ne sont pas très agréable à porter quand ils ont tendance à geler. Cela étant, tout cela ne sont que des aléas, et l'ensemble de la station se passe dans la bonne humeur, voir l'extase quand le soleil est de la partie.

Pendant ce temps, Nix mesure les flux air-glace de CO2 avec le SIES et la cloche, tandis que Martin se livre au plaisir des mesures expérimentales d'albédo (lumière absorbée/réfléchie) par la banquise. Quand Jeroen, Isabelle et Florence sont en forme, c'est plus d'une centaine de litres d'eau qui sont prélevés. Leur succèdent, Nix, Keith, Gauthier, Fred et moi-même, pour les prélèvements et mesures de gaz. Des volumes plus petits, mais avec de petits plus, comme la nécessité de prélever sans faire de bulles (et sans former de glace si possible), rajouter des réactifs qui eux aussi ont tendance à geler, ou faire marcher le SIES, une machine délicate qui mesure la concentration en CO2, mais qui encombrante, munies de plusieurs tuyaux, sondes, câbles électriques et dispositifs de chauffage peut s'avérer elle aussi un peu capricieuse.

Une fois le carottage et le prélèvement d'eau de mer terminée, la dernière grande étape est le prélèvement des saumures contenues dans la glace. Pour cela, on creuse des trous à mi-hauteur dans la glace. Les saumures - de l'eau de mer contenues dans les interstices de la glace qui s'est enrichie en sel ce qui l'empêche, percolent à travers la glace, et viennent remplir les trous. Il faut attendre quelques temps pour que les trous se remplissent, et être économe en eau, car s'il y a peu de risque que nous pompions tellement d'eau de mer que l'océan soit asséché, il y a relativement peu de saumures qui viennent remplir les trous. Cette étape peut donc s'étirer un peu en longueur, mais déjà les premiers prélèvements repartent vers le bateau et le matériel commence à être rangé dans les caisses. Le soleil commence à descendre sur l'horizon, et la lumière se fait plus chaude. C'est le moment où le regard embrasse un paysage hors du commun et que l'on goutte le privilège d'être là, au milieu de cette banquise, à la fois plane et chaotique, parsemée d'icebergs étincelants. C'est également la satisfaction d'avoir pu accomplir une station supplémentaire, ramener une nouvelle série de donnée. Toutefois la journée n'est pas finie, car une fois de retour au bateau, s'est le travail de laboratoire - traitement, analyse ou conditionnement des échantillons, incubations - qui commence. La journée a été longue, la soirée le sera aussi…

Bruno

lundi 1 octobre 2007

Simba - Ice Station Belgica : 110 ans plus tard

1er Octobre, Ice station Belgica

C’est avec beaucoup de fierté que nous vous annonçons en ce 1er octobre 2007 la naissance de notre « process station » (ou station d’étude des processus temporels). Malgré une grossesse d’un mois plutôt difficile remplie d’émotions fortes, l’accouchement s’est relativement bien passé puisqu’il n’a fallu qu’un jour au père (Jean-Louis) et à la mère (Bruno - désolé il fallait bien choisir l’un d’entre vous pour compléter cette métaphore ;)) pour trouver un terrain d’entente. Ses nombreux parrains et marraines assisteront les parents durant les 24 prochains jours, lui apportant tous les soins nécessaires pour assurer de bons résultats dans le futur. Le baptême vient d’avoir lieu, notre station portera le doux nom de « Ice Station Belgica ».

« Ice Station Belgica », c’est avec un peu d’audace (9 icebergs belges perdus au milieu d’un océan américain) mais surtout avec beaucoup de fierté que nous avons réussi à imposer ce nom pour le morceau de banquise qui nous servira de laboratoire à ciel ouvert pendant toute la durée du prochain mois. Belgica c’est avant tout la bannière qui nous rassemble (Belges du nord, du centre, du sud, Néerlandais et même Perpignanais ; quelle union improbable mais qui fonctionne cependant à merveille et toujours dans la bonne entente, comme quoi!). C’est aussi le nom d’un illustre ancêtre, celui d’un bateau, d’une expédition qui marqua les premiers temps des aventures polaires modernes et qui aujourd’hui encore reste gravé dans nos mémoires comme peut-être l’un des plus bels exploits belges. Cet exploit c’est celui du capitaine Adrien de Gerlache, de son navire la Belgica et de son équipage. Laissez-nous vous le compter.

L’histoire commence à la fin du 19ième siècle. Un ancien étudiant en polytechnique de l’Université Libre de Bruxelles, Adrien de Gerlache, décide de mettre sur pied une expédition vers l’Antarctique, la première sous pavillon belge. C’est dans un contexte scientifique international résolument tourné vers l’exploration de l’Antarctique et de l’océan Austral (la charnière entre le 18ième et le 19ième siècle concentrant la plupart des grandes expéditions et découvertes du continent blanc ; la course au pôle sud de Scott et Amundsen, les nombreux périples de Shackleton, l’hivernage de Borchgrevink) que de Gerlache tente de réunir l’argent nécessaire pour son projet. Après quelques souscriptions et l’organisation de nombreux événements pour récolter des fonds, les 300000 Fb (de l’époque) sont collectés et l’expédition est financièrement prête à être mise sur pied. Reste encore à trouver le navire et l’équipage. Adrien de Gerlache rachète ainsi un trois mâts de pêche norvégien pour 50000 couronnes et le rebaptise Belgica. Le navire possède une coque renforcée par des bandes de fonte, ce qui lui offre une meilleure résistance aux chocs de la glace. Ses dimensions sont assez modestes, 34,6 m de long pour 7,5 m de large (en comparaison, le Nathaniel B. Palmer, l’hôte de notre expédition, mesure 93,8 m de long pour 18,2 m de large). L’équipage du bateau sera quant à lui cosmopolite aussi bien au niveau des horizons professionnels que de la nationalité. On retrouvera ainsi à bord un géologue polonais (Arctowski), un physicien du globe (Danco), un photographe et médecin américain (Frédérick Cook), un zoologue et botaniste roumain (Racovitza) et même le célèbre explorateur norvégien Amundsen. L’orientation de la mission est définitivement scientifique, en témoigne la grande quantité de matériel emporté à bord.

Le 16 août 1897, à huit heures du matin, tout est fin près et la Belgica quitte le port d’Anvers direction l’Antarctique. L’objectif initial de la mission est la reconnaissance de la mer George V. Après cela, de Gerlache planifie d’hiverner sur la Terre Victoria avec trois de ses compagnons, laissant la Belgica se réapprovisionner à Melbourne. Il en sera tout autrement.

Mis à part la mort tragique d’un jeune matelot (Auguste-Karl Wiencke) par noyade lors d’une tempête, le début de l’expédition se passe relativement bien et dès le début de l’année 1898 l’équipage de la Belgica entame l’exploration des côtes de la péninsule Antarctique (on retrouve la trace de ces découvertes dans la toponymie des lieu - détroit de Gerlache ou encore île d’Anvers sur laquelle, pour l’anecdote, se trouve la base américaine Palmer dans laquelle nous avons fait une halte après l’incendie sur le bateau). Les scientifiques à bord prélèvent également de nombreux échantillons et multiplient les mesures. Biologie, géologie, météorologie, pas une science naturelle n’est épargnée.

C’est le 18 février 1898 que l’expédition va réellement se transformer, contre la volonté du capitaine (quoique !), en épopée héroïque. S’engouffrant dans une large zone d’eau libre dans la banquise, de Gerlache tente d’amener la Belgica un peu plus vers le sud. Cependant, dès le 5 mars 1898, le navire est bloqué par les glaces par 70° de latitude. Si la puissance motrice actuelle des plus grands brise-glaces (plus de 12000 chevaux pour le Nathaniel B. Palmer) et le poids de ceux-ci leur permettent sans trop de difficultés de se dégager d’une banquise épaisse de plus d’1 m, il en va tout autrement pour un voilier du 19ième siècle beaucoup plus léger. La Belgica prise par la glace, l’équipage est donc condamné à hiverner dans la banquise Antarctique, une première dans l’histoire. Une première mais dangereuse à de nombreux points de vue. Le navire disposant de suffisamment de combustibles et de nourriture pour l’ensemble de l’hiver, ce n’est pas vraiment la faim et le froid qui menace les hommes mais d’autres périls plus pernicieux. Ainsi, la banquise en continuel mouvement peut venir briser la coque par la pression qu’elle exerce sur celle-ci, soumettant l’équipage à un abandon du navire peu enviable (c'est ce qui arriva quelques années plus tard à l'Endurance de Shackelton). L’autre principal danger concerne la santé physique et mentale des hommes qui se dégrade au fur et à mesure des longues heures de nuit polaire. Alors, pour garder les troupes actives, de Gerlache organise toutes sortes d’activités. Depuis les mesures scientifiques quotidiennes jusqu’aux excursions sur la glace en passant par les inévitables travaux de déblayage de la neige, tout est mis en oeuvre pour lutter contre le marasme et la dépression. Malgré toutes les précautions alimentaires et sanitaires, Emile Danco, l’ancien lieutenant d’artillerie reconvertit en physicien, décède d’une affection cardiaque.

En janvier, alors que la glace se réchauffe et après un peu plus de 10 mois passés dans la glace, l’équipage entrevoit enfin un échappatoire avec l’apparition d’une zone d’eau libre à environ 600 m du navire. Il n’en faut pas moins pour que de Gerlache décide d’attaquer la banquise à l’aide de coups de pioche, de dynamite et de scies pour libérer la Belgica et la rendre à son élément naturel. Et ça marche ! Après 2 mois d’efforts soutenus, le trois mâts est enfin libre et peut à nouveau voguer de zones d’eau libre en zones d’eau libre vers l’océan. Ce n’est qu’une année plus tard, le 5 novembre 1899 que l’expédition se termine enfin. De retour dans le port d’Anvers, la Belgica est acclamée par les nombreux badauds venus admirer et féliciter ces nouveaux héros.


Tout au long de leur périple, les hommes de de Gerlache auront collecté des quantités phénoménales d’échantillons divers, effectué de nombreuses mesures et apporté à la science un set d’observations météorologiques complet durant une année entière.En ce moment, le destin ou le hasard, appelez le comme vous le voulez, a placé notre navire à quelques kilomètres seulement de l’endroit où la Belgica effectua son héroïque hivernage. Se sentir si proche spatialement d’Adrien de Gerlache et de ses hommes remplit nos coeurs d’émotion et nous offre une belle occasion de débuter cette année polaire internationale en mettant une fois de plus les couleurs de notre pays aux premières places de la grande aventure antarctique. Intéressé ?

Gauthier

Je tiens à remercier Claude De Broyer, chercheur à l’Institut des Sciences Naturelles, pour l’accès à sa documentation et sa disponibilité

dimanche 30 septembre 2007

Simba - Phaeocystis, krill, phoques et autres compagnons polaires

Dimanche 30 septembre.

Même si les conditions climatiques rigoureuses qui règnent sur les régions polaires semblent être un obstacle infranchissable au développement de la vie, la banquise, comme tous les biomes terrestres, abrite de nombreuses espèces animales et végétales. Dans le post d'aujourd'hui, nous tenterons d'introduire la faune et la flore que nous côtoierons tout au long de notre odyssée tout en vous donnant quelques informations complémentaires concernant leur habitat et leur mode de vie.

Chaque écosystème sur Terre peut être représenté par une pyramide alimentaire dont chaque étage correspond à un ensemble intégré d'organismes vivants. Considérons un instant la pyramide de la banquise antarctique.

A la base de celle-ci, nous retrouvons des microorganismes algaux (dont la taille varie selon l'espèce, de 2 à 200 µm en première approximation). Ces organismes utilisent le dioxyde de carbone (CO2) et la lumière émise par le soleil pour produire leur énergie selon le principe général de la photosynthèse (6 CO2 + 6 H2O --> C6H12O6 + 6 O2), libérant par la même occasion de l'oxygène. Cette production d'énergie sans assimilation d'autres organismes vivants est appelée autotrophie (par opposition à hétérotrophie). A l'instar des végétaux de nos forêts, ces algues microscopiques, en recyclant le CO2 en oxygène, jouent un rôle capital dans la régulation du climat. Lors de la formation de la banquise, ces algues se retrouvent emprisonnées par différents processus dans la glace, formant des concentrations d'individus dépassant largement celles rencontrées dans les eaux sous-jacentes. Ces fortes populations, intégrées sur la surface totale de la banquise (extension maximale de 20 millions de km²), et à l'impact climatique largement démontré, focalisent l'attention de nombreux chercheurs. Les nécessités d'adaptation de ces algues, dites psychrotrophes (organismes vivants à des températures inférieures à 0°C), aux conditions du milieu - impliquant par exemple la sécrétion de composés chimiques tels que le DMSP (acronyme du composé soufré diméthylsulfoniopropionate) - suscitent également l'intérêt de la communauté scientifique.

Passons maintenant à l'étage supérieur de notre pyramide alimentaire où nous rencontrons les organismes hétérotrophes (c'est-à-dire des organismes qui mangent les autres pour simplifier) de petites dimensions, dont la taille est généralement inférieure à 5 mm. On y retrouve entre autre des protozoaires et copepodes. Ces organismes acquièrent leur énergie en se nourrissant des micro-algues occupant l'étage précédent de la pyramide, ou d'organismes hétérotrophes plus petits qu'eux. Pour effectuer cet acte de prédation sur les algues emprisonnées dans la glace de mer, ces organismes hétérotrophes peuvent pénétrer dans la banquise via les chenaux de saumure (ces petites inclusions d'eau liquide très saline évoquées précédemment par Jean-Louis). Certaines espèces étant toutefois trop grandes pour s'insinuer dans le réseau de saumures, la glace de mer peut être considérée comme un abri pour les algues qui y sont logées. Une des espèces emblématiques des organismes hétérotrophe que l'on rencontre fréquemment dans et sous la glace de mer porte le nom scientifique d'Euphausia superba (plus communément appelé krill). Si la taille du krill adulte ne permet pas la colonisation des saumures, le krill juvénile lui se rencontre fréquemment dans la glace. D'un point de vue taxonomique, le krill appartient au superordre des Eucarida, au même titre que les crabes, crevettes et homards. Ils partagent avec ceux-ci quelques caractéristiques anatomiques telles qu'une carapace dorsale segmentée bien développée et des yeux proéminents. Le krill possède également des organes luminescents (comme les lucioles que l'on aperçoit parfois dans nos régions), utilisés probablement comme voie de communication entre les différents individus. Ces individus utilisent leurs appendices thoraciques comme organe de filtration de l'eau de mer pour capturer les micro-algues. En plus d'être un consommateur d'algues - on peut dire brouteur-, le krill se révèle être la principale source de nourriture pour le prochain étage de notre pyramide alimentaire.

En effet, la plupart des grands organismes vivants que l'on rencontre en Antarctique et dans l'océan Austral qui l'entoure se nourrissent essentiellement de zooplancton. Les différentes espèces de baleines par exemple filtrent l'eau de mer à l'aide de leurs fanons pour capturer le krill. Certaines baleines, possédant plusieurs centaines de fanons, peuvent consommer jusqu'à 2 tonnes de krill par jour. Cette quantité phénoménale de nourriture se justifie par la taille exceptionnelle de ces organismes qui sont de loin les plus grands animaux vivants sur Terre. Ainsi, la baleine bleue (Balaenoptera musculus) peut atteindre 30 m de long pour un poids de 180 tonnes. La répartition de ces grands et fascinants animaux à la surface du globe n'est pas homogène et varie fortement avec l'espèce. Certaines sont inféodées à l'hémisphère nord, d'autres à l'hémisphère sud, certaines encore sont relativement bien dispersées comme la baleine bleue que l'on retrouve dans la quasi-totalité des mers et océans du monde. Ces grands cétacés sont généralement facilement observables à la surface des eaux où ils viennent respirer régulièrement. Malheureusement, des années de pêche commerciale non réglementée ont fortement réduit le nombre d'individus et il devient de plus en plus rare d'en apercevoir. Au cours de notre périple, Brent, le spécialiste des mammifères marins qui nous accompagne, a eu l'occasion d'observer à quelques reprises l'espèce Balaenoptera bonaerensis (ou baleine antarctique de Minke).

D'autres mammifères beaucoup plus fréquents et bien connus du grand public se nourrissent également de krill (non exclusivement dans ce cas-ci). Il s'agit des nombreux phoques que l'on observe aussi bien dans l'eau que sur la banquise. Phoque de Ross, phoque de Weddell ou léopard de mer, autant d'espèces que l'on peut observer étendues sur la glace depuis le pont du bateau (la notion de sieste étant très répandue chez les pinnipèdes). Les phoques possèdent une couche de graisse particulièrement importante sous leur peau qui isole leur corps et leur permet de vivre à des températures très inférieures à 0°C. Ils possèdent également des pattes palmées, forme idéale pour des plongées à de grandes profondeurs (jusqu'à 750 m environ pour le phoque de Ross).

Le troisième animal emblématique de cet étage de la pyramide est le manchot. Il convient avant tout de rappeler que les manchots se rencontrent exclusivement en Antarctique, l'hémisphère nord étant le domaine des pingouins (qui volent et que l'on peut parfois rencontrer sur la côte belge). Nous avons actuellement pu observer deux espèces de manchots, l'une étant le manchot empereur (Aptenodytes forsteri), l'autre, de taille plus modeste, étant le manchot Adélie (Pygoscelis adeliae). Ils sont facilement discernable grâce notamment à la coloration jaune-orange d'une partie du cou et de la tête du manchot empereur. Rencontrer un manchot est peut-être l'expérience la plus insolite qu'un chercheur peut vivre sur le terrain lorsqu'il étudie la glace de mer. En effet, ces oiseaux aux ailes atrophiées sont souvent bien curieux et surtout peu peureux. Il leur arrive ainsi fréquemment de s'approcher d'un groupe de terrain et de rester à proximité de celui-ci, donnant l'impression de contrôler le travail accompli, leur caractère anthropomorphe renforçant encore plus l'étonnement que suscite leur rencontre.

Au sommet de la pyramide, on retrouve le super prédateur de l'Antarctique, un autre cétacé mais un delphinideae (dauphin) cette fois-ci, Orcinus orca, l'orque. Les nombreux orques que nous pouvons admirer dans les parcs aquatiques et les films hollywoodiens ne doivent pas nous faire oublier que l'orque reste un des prédateurs les plus efficaces de l'océan (son nom anglais, Killer Whale - baleine tueuse -, étant assez évocateur à ce point de vue). L'orque est considéré comme le plus grand des delphinideae, le mâle adulte pouvant atteindre 9 m et peser un peu plus de 6 tonnes. C'est le cétacé le plus largement distribué sur Terre. Ses mâchoires supérieures et inférieures sont constituées de 10 à 14 paires de dents et il chasse souvent en groupes organisés. Ses proies sont aussi variées que nombreuses. Ainsi, l'orque se nourrit de phoques, manchots, poissons et même de petites baleines. On le retrouve la plupart du temps à proximité de la zone marginale des banquises ou dans les grands chenaux d'eau qui serpentent parfois entre les plaques de glace.Pour être tout à fait complet, il convient de mentionner la présence de bactéries qui dégradent la matière organique morte (cadavres des animaux par exemple), rendant ainsi les nutriments à nouveau disponibles pour les espèces du sommet de la pyramide. Ce recyclage permet en fait de faire le lien entre le dernier étage du super prédateur et le premier étage des micro-algues, transformant ainsi la pyramide en chaîne alimentaire. Chaque organisme des étages supérieurs dépend donc des organismes des étages inférieurs, toute perturbation d'un étage affectant irrémédiablement les autres étages. Ainsi va la cyclicité du monde animal.

Question : Pourquoi ne rencontre-t-on pas d'ours polaires en Antarctique ?
Gauthier.
Colonie de Phaeocystis antarctica, une micro-algue (Source : Smithsonian Environmental Research Center)

Euphausia superba à bord du Nathaniel B. Palmer (Source : Bobby Acha)

Lobodon carcinophaga à proximité du bateau dans la mer de Belingshausen (Source : Mike Lewis)

Manchot Adélie sur la pack ice de la mer de Bellingshausen (Source : Carnat Gauthier)

samedi 29 septembre 2007

Simba - First Sea Ice Party

Samedi 29 septembre (70° 40'791 S ; 91°51'579 O)

Et voilà, depuis le 25 septembre nous sommes dans la banquise, en mer de Bellingshausen, au-delà du cercle polaire. Les choses sérieuses commencent avec les premières journées de travail sur la glace. Nous avons échantillonné la banquise dès notre entrée dans la glace lors de courtes périodes de 3h environ (ice station). Lors de ces arrêts ponctuels (3), des carottes de glace ainsi que de la saumure on été prélevées afin de pouvoir y étudier différents paramètres. Chaque carotte est assignée à une ou plusieurs variables, mesurées sur le terrain, sur le bateau ou une fois rentré en Belgique:

* Variables physiques comme la température et la salinité «in situ», variables directement mesurées sur la glace.

* Variables biologiques comme les nutriments, la chlorophylle.

* Variables chimiques comme les différents gaz (CO2, DMS, O2, N2) et le fer.

La partie comique de l’échantillonnage consiste à enfiler, sur la glace, des combinaisons propres ainsi que d’emballer nos chaussures avec des sacs en plastique afin d’éviter toute contamination pour notre ami «IronMan» (Jeroen de Jong). C’est ainsi que «Holiday on Ice» commence! Ensuite, en prenant bien garde aux directives soutenues, mais toujours efficaces de JayLo (notre très cher Mr. Tison), le carottage est entamé. A l’aide d’une foreuse et d’une mèche creuse («corer»), la carotte est prélevée, sortie de la glace et stockée dans un sac d’échantillonnage en plastique.

Après ces premières mises en jambes nous nous sommes dirigés vers la station principale, une large zone de banquise qui nous servira de laboratoire à ciel ouvert pour le mois qui vient (Isa et Flo vous en parleront plus en détails!). Aujourd’hui, sous un blizzard cinglant avec des rafales entre 8 et 10 beauforts, nous préparons notre matériel pour les premiers repérages sur la station principale, la «process station».

News en bref:

* Fred poursuit sa calibration pour ces mesures de DMS,

* Flo peste contre les américains au sujet de leurs consignes de «sécurité», travailler avec des produits radioactifs présente certains désavantages,

* Isa filtre et s’apprête à filtrer les échantillons de glace pourmesurer la chlorophylle-a,

* Martin, notre modélisateur, apprivoise ses deux mains pour des menus travaux (mesure de bilans d’énergie),

* JayLo pense à mettre son lit dans la chambre froide où il passe de nombreuses heures à découper les carottes pour le reste de l’équipe,

* Bruno, yeh yeh yeh yeh!

* IronMan nous apprend le néerlandais tout en continuant à filtrer ces échantillons pour mesurer le fer,

* Gauthier et Nix, écrivent le blog (entre autres choses) ;-)


Q1: Quelle est la latitude exacte du cercle polaire, comment est il défini et en quoi est-il particulier?

Q2: A combien de km/h correspondent les 8 à 10 beauforts?



Nix et Gauthier



Photo de groupe d’une station de nuit (avec de gauche à droite: Nix,IronMan, JayLo, Bruno, Gauthier), illustration du corer ou comment faireune carotte de glace et enfin travaille en compagnie des manchots!

dimanche 23 septembre 2007

Simba - Passage de Drake (un peu plus loin : 58.37S, 80W).

Dimanche 23 septembre


Bonjour à tous !... Je profite de l'entre deux vagues pour reprendre la plume à Bruno, Martin, Fred, Gauthier et les autres un instant, le temps de vous répondre à la question existentielle qui flotte certainement sur toutes vos lèvres depuis un certain temps: «Mais que diantre vont-ils faire dans cette galère ?!?». Nous reviendrons certainement en détail sur ces propos lorsque l'action battra son plein d'ici quelques jours, mais nous vous devons je crois quelques mots d'explications sur le pourquoi etl es principales motivations de notre expédition. Le moment idéal pour déployer la «toile de fond» !
Il s'agira ici d'étudier le comportement de la banquise australe, que l'on appelle aussi parfois glace de mer, car elle résulte du gel de l'eau océanique en surface, à l'opposé des calottes glaciaires, qui elles résultent de l'empilement (et de la compaction en glace) des précipitations neigeuses qui tombent sur le continent au fil des ans. La couverture de banquise antarctique oscille chaque année entre 4 et 20millions de km², et double ainsi la surface couverte de glace de l'Antarctique au maximum de son extension. Une telle superficie, et une telle amplitude saisonnière, font de la banquise antarctique un acteur potentiel des variations du climat à plus d'un égard. Son rôle le plus connu du grand public est probablement celui d'une gigantesque surface réfléchissante (albédo élevé) pour le rayonnement solaire incident, en comparaison de la faible réflexion (forte absorption) qui caractérise l'océan ouvert (albédo faible). Mais il en existe plusieurs autres tels que : la formation des eaux océaniques profondes antarctiques (un des moteurs principaux de la circulation thermohaline globale, ce «tapis roulant» océanique qui fait le tour de la Terre et participe au transfert de l'excédent de chaleur de l'équateur vers les pôles) ; la stabilisation de la couche océanique de surface lors de la fonte saisonnière (la glace de mer est en effet plus pauvre en sel - en moyenne 6 grammes par kilo de glace - que l'eau de mer - environ 34 à 35 grammes de sel par litre d'eau, son eau de fonte « flotte» ainsi sur l'eau de mer) favorisant les efflorescences (croissance accélérée) des algues phytoplanctoniques et par là, la pompe du dioxyde de carbone (CO2) et la libération de dimethylsulfure (DMS), deux gaz à effets climatiques reconnus ; le contrôle deséchanges gazeux entre l'océan et l'atmosphère. Ce sont ces deux derniers effets qui constituent le principal objectif de recherche des projets ARC (Action de Recherches Concertées de la Communauté Française de Belgique :SIBClim : Sea Ice Biogeochemistry in a Climate change perspective - ULB) et FRFC (Fonds de Recherche Fondamentale Collective : BASICS in IPY -Biogeochemistry of Antarctic Sea Ice and the Climate System under the International Polar Year- ULB, ULg, UCL) dans le cadre desquels se déroulela présente mission.
L'expédition du brise-glace N.B. Palmer (SIMBA - Sea Ice Mass Balance in Antarctica) est ainsi la première mission Antarctique réalisée sous les auspices de l'Année Polaire Internationale (API-IPY) qui emmène à son bord un groupe pluri-universitaire (ULB, ULg, UCL) de 9 scientifiques belges (sur un total de 33), dont 6 doctorants (FRIAs, FNRS, PSF, tous les jeunes sur les photos !)...Aie, aie, aie, "la foire aux acronymes" un mal dont la Science se serait bien passée !...Je vous tuyaute : API = Année Polaire Internationale = IPY = International Polar year 2007-2009 ; ULB =Université Libre de Bruxelles ; ULg = Université de Liège ; UCL =Université Catholique de Louvain ; FRIA = Fonds pour la Recherche dans l'Industrie et l'Agronomie ; FNRS = Fonds National de la Recherche Scientifique ; PSF = Politique Scientifique Fédérale.
SIMBA, un projet mené tambour battant par Steve Ackley (un chercheuraméricain de renommée internationale qui s'intéresse de longue date à la glace de mer), a pour but essentiel d'étudier ce qu'on appelle le « bilan de masse » de la glace de mer antarctique. En d'autres termes, il s'agit d'estimer la balance entre la masse de glace fondue et la masse de glace créée chaque année... Pour ce faire il est important de mesurer à la fois la surface couverte par la glace et l'épaisseur de celle-ci, qui peut varier de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres, suivant les processus impliqués. Les progrès techniques des dernières années nous ont amenés à pouvoir espérer obtenir ces données à l'aide des données récoltées par les satellites d'observation qui gravitent autour de notre globe,mais nous n'en sommes pas encore tout-à-fait là, surtout pour les mesures d'épaisseurs de glace. Il est donc nécessaire de «calibrer» etde «valider» les données satellitaires par des observations de terrain, c'est l'objectif de SIMBA. Nous placerons en effet, au cours de notre séjour, des bouées « bilan de masse » sur la glace, qui retransmettrons, par voie satellitaire également , les variations d'épaisseur de la glace au cours du temps sur, nous l'espérons, plus d'un an et demi. Ces mêmes bouées, et d'autres encore (dont une première financée par la PSF) que nous répartirons sur notre trajet, nous permettront également de suivre les déplacements de la glace à grande échelle et sur de longues distances (GPS : vous connaissez ?), aidant ainsi à valider (vérifier leur exactitude) ces fameux modèles mathématiques qui prédiront l'évolution de la glace de mer dans les siècles (potentiellement plus chauds !) à venir. Vous avez certainement tous à l'esprit combiencette réduction a été importante pour la banquise arctique (hémisphère nord !), avec un nouveau record d'extension minimale cette année. La banquise antarctique est encore globalement plus ou moins stable à cause de sa taille et de son relatif isolement, mais son recul ne saurait tarder!...Ah oui! j'oubliais! vous en avez déjà entendu parler, nos amis Mike et Blake ont «customisé» un kayak de compétition équipé d'un altimètrelaser et d'un émetteur récepteur d'ondes électromagnétiques sensible à la conductivité électrique de la glace et de l'eau de mer. Celui-ci peut-être soit suspendu à 3 mètres au-dessus de la glace lorsque le bateau se déplace, soit trainé à la force des poignets sur la glace et nous donne avec une précision de quelques centimètres (quand tout fonctionne bien !) l'épaisseur de glace, cool, non ?
OK! mais la biogéochimie de la glace de mer dans tout cela ?... j'y arrive. La glace de mer ne ressemble en rien à la glace de glacier (que vous avez peut-être déjà croisée dans votre vie au cours d'un périple en montagne), elle résulte en effet du gel de l'eau de l'océan, et non de la transformation des chutes de neige en glace sous l'effet de la pression. Elle ne ressemble pas non plus aux glaçons que vous fabriquez dans votre réfrigérateur, ou à ceux qui couvrent la surface du lac près de chezvous, puisque ceux-ci sont formés à partir d'eau douce. Lorsque l'eau de mer gèle (ce qui peut lui arriver de plusieurs manières, nous le verrons plus tard !), elle enferme en son sein des petites inclusions de saumures (eau salée) qui forment ce qu'on appelle des poches, tubes ou chenaux de saumures, en fonction de leur géométrie. Ceux-ci peuvent être connectés entre eux, lorsque la glace est moins froide (<-5°C, en premièreapproximation) et donc très poreuse, ou au contraire isolés les uns des autres, la glace étant alors imperméable. Ces inclusions de saumures sont cruciales, car c'est en leur sein que vont se fixer les microorganismes (du micron au millimètre) qui vivent au sein de la glace de mer : microalgues, consommateurs secondaires, bactéries, et ce en très grand nombre. Ainsi les concentrations en algues dans la banquise peuvent atteindre plusieurs centaines de microgrammes par litre, alors qu'elles ne sont que d'une fraction de microgramme par litre dans les eaux océaniques de surface. La glace de mer joue donc un rôle primordial de refuge et d'ensemencement (lors de la fonte de printemps et d'été) des eaux océaniques polaires de surface. Or, ces algues sont des végétaux, elles réalisent donc la photosynthèse, au cours de laquelle elles prélèvent le dioxyde de carbone dissous dans l'eau, dont le carbone sert de base à la fabrication de leurs cellules. Elles constituent donc un puits potentiel de CO2, dont ne connaissons pas encore l'amplitude. Mais rappelez-vous, 20millions de kilomères carrés tous les ans !...Par ailleurs, les conditions difficiles de survie dans une glace qui peut descendre à -25°C et dans des saumures qui peuvent alors atteindre des salinités qui valent plus de dix fois celle de l'eau de mer, ont mené à des adaptations particulières de ces algues. Elles produisent par exemple des composés sulfurés qui seront plus tard libérés dans l'atmosphère et joueront un rôle opposé à celui du dioxyde de carbone sur l'augmentation de température globale, mais une chose à la fois, Frédéric vous en parlera certainement plus en détail plus tard. Une des activités principales de notre mission sera donc un suivi temporel d'environ un mois de deux stations de glace de mer aux caractéristiques contrastées du point de vue de leur propriétés physiques,chimiques et biologiques. Ces mesures nous permettront de mieux comprendre la dynamique de cet écosystème complexe et méconnu, et de mesurer l'impact potentiel qu'il peut avoir sur la régulation du climat. Le but ultime sera de mettre au point un modèle mathématique qui tentera de reproduire au mieux le fonctionnement de ce milieu et d'intégrer son impact sur le climat à l'échelle du globe. C'est pour cela que nous avons Martin avec nous, un jeune modélisateur hors pair de l'équipe de renommée internationale de l'Institut d'Astronomie George Lemaître de l'UCL. Ce qui m'amène à la présentation du reste de l'équipe belge : Isabelle etFlorence (ULB) étudieront les processus biologiques (en collaboration avec le Dr. Chris Fritsen du Desert Research Institute, Reno, Nevada) ; Jeroen et Florence (ULB) s'intéresseront au fer (un élément mineur limitant potentiellement l'activité alguaire) dans la glace et dans l'eau ; Bruno (ULg), Nicolas Xavier (Nix, ULg), Gauthier (ULB, University of Manitoba, Canada) mesureront les concentrations et les flux de CO2 dans et hors de la glace ainsi que dans l'eau (en collaboration avec notre collègue canadien Keith Johnson, Institute of Ocean Sciences, Fisheries and Oceans, Canada) ; Fredéric (ULB, ex-FUSAGx : Faculté Universitaires des Sciences Agronomiques de Gembloux) dosera les composés sulfurés dans la glace (dimethylsulphide, dimethylsulphoniopropionate). Pour ma part, en plus de la coordination de l'ensemble, je participerai aux mesures du CO2 et des composés sulfurés dans la glace et je me chargerai de la mesure des variables physiques et chimiques de base dans la glace : températures, salinité, isotopes stables de l'oxygène (nous reviendrons sur cet energumène plus tard, pas de panique !) et structure cristallographique de la glace (en collaboration avec Steve Ackley, chef de mission etProfesseur à l'Université de San Antonio, Texas). Hé bien voilà !...à présent, place à l'action !...
A propos, une petite innovation pour ceux qui nous suivent régulièrement et qui sont candidats au «pôle passport» régulièrement une question ou une affirmation à confirmer ou infirmer en justifiant, histoire de garder l'esprit en éveil :
Q1 : «la banquise constitue une des sources d'eau potable les plus importante au monde, des projets audacieux ont même tenté d'en remorquer de grandes quantités vers les régions désertiques du globe» Vrai ou Faux?... Justifier.


A très bientôt, et merci de votre fidélité !

Jean-Louis.


En dessous le « clean » container




mercredi 19 septembre 2007

Simba - Come back to the ice

Mercredi 19 septembre

Un court mais important update.
Cette fois c'est sûr, nous repartons vers la glace, Jeudi vers 9 heures. Nous avons tous été réunis ce matin pour nous l'annoncer officiellement. Tous les test de la qualité de l'air ont été négatifs (ce qui veux dire que l'on peut respirer l'air à bord du navire sans problèmes). Le retour à Punta Arenas se fera le 31 octobre (pas septembre) dans l'après-midi ou au soir, comme prévu initialement. Nous allons foncer vers la glace (sur quatre moteurs au lieu de deux) et plus à l'est que prévu, afin de gagner du temps. Nous devrions toucher la glace Lundi prochain en première approximation, peut-être plus tôt, et pour l'instant Neptune semble toujours être de notre coté pour cette troisième traversée du passage de Drake.
En ce qui concerne les e-mails, il semble que nous nous rapprochons de la solution et nous devrions y avoir accès (le corollaire est que le blog pourra être mis à jour), mais ce n'est pas garanti à 100%.
Voilà, c'est reparti, en accéléré et avec les moyens du bord, mais le plus important ce que nous y retournions.

Bruno

mardi 18 septembre 2007

Simba - Les couleurs de l’arc-en-ciel


Punta Arenas, le mardi 18 septembre.

Après un long temps d’absence, je l’admets, me revoici derrière mon clavier d’ordinateur pour communiquer avec le monde par la voie virtuelle. Il faut dire que notre humeur à tous ici est passée par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Voici un long résumé de notre parcours en zig-zag.

1. Le soir où nous avons posté toute l’info sur le blog depuis Palmer Station, on nous a rassemblé brusquement devant un grand écran connecté par vidéo conférence avec Denver. Deux types de la boîte privée qui s’occupe de la logistique à bord nous ont annoncé que pour raisons sanitaires nous devions rentrer à Punta Arenas. Ce qui a d’un coup dégonflé le ballon du moral des troupes. Pfffiout. Rentrer à Punta Arenas, ça veut dire amputer la science d’un gros morceau. Ou peut-être se voir dire progressivement, pour ne pas brusquer nos petits cœurs délicats et émotifs et enclins à la révolte, que la campagne est tout simplement annulée. Les magnifiques paysages englacés du retour ont un goût amer, voire presque acide.

2. Cependant, un jour n’est pas l’autre, et progressivement, sur le trajet du retour, bercée par la houle exceptionnellement paisible de l’Océan Austral, la flamme de l’espoir s’est peu à peu ravivée. Cette flamme est revigorée par les rumeurs déformées des coups de fils de notre chef scientifique Steve Ackley avec les hautes sphères de décision situées 5000, peut-être 10000 km plus haut, sur l’autre hémisphère, à Denver, USA. On parle de nettoyer le bateau au plus vite, de rallonger la campagne de 10 jours, de sorte que rien de notre science n’en sera affecté. Mais l’information qu’on reçoit est floue, brouillardeuse, et ce flou imprègne l’humeur globale de l’équipage. La fin de la traversée, longeant la côte Est de l’Argentine, se déroule dans un calme paisible. La confiance de certains se mélange avec la lassitude des uns et l’incertitude des autres.

3. Il y a quelques jours, je ne sais plus exactement quand, on est finalement arrivés à Punta Arenas. La fougue à l’idée d’arriver à terre est bien vite retombée. Il n’y a pas de place au port et il faut encore attendre un jour de plus pour mettre pied à terre. Mais quelques hommes de Denver arrivent bientôt à bord du bâteau, avec un bâton de parole qui devrait dissiper notre situation brumeuse… On nous réunit vers 16h dans la salle de conférence, ce qui n’était plus arrivé depuis quelques jours. On nous dit : « Il faut nettoyer, voici Mr X expert en gestion de feu sur bateaux, qui va s’occuper de votre cas. Il s’y connaît très bien. Il dit que ça n’a pas l’air trop grave. Il prend ses échantillons d’air, pour en évaluer la qualité, demain à la première heure. On les envoie directement dans un labo de Santiago, où ils seront analysés en triple vitesse. Mais il ne fait aucun doute que ça ira bien, et vite. D’ici deux jours, ou peut-être trois, vous devriez pouvoir repartir. »

4. Tout le monde reprend confiance et est heureux. Mais bien vite, l’info floue, communiquée par rumeur plutôt que par voie officielle, que les échantillons doivent partir à Mexico plutôt qu’à Santiago, circule. Ce qui reporte le départ minimum au lundi plutôt qu’au vendredi. Histoire d’enrayer le enième pffff de désespoir, tous les belges et le hollandais, sauf Jean-Louis et Bruno (pour des raisons de travail), plus quelques américains, partent au Parc National de Patagonie « Torres del Paine », pour deux jours. On part très tôt le matin samedi dans deux Fiat, une grise et une blanche, pour manger la route depuis Punta Arenas jusque Puerto Natales, située à 250 km au nord. Il fait très beau, ce qui est extrêmement rare, paraît-il. Les paysages sont désolés et magnifiques. A la fin de la journée, on roule jusqu’au parc à travers piste sillonnant des reliefs volcaniques de plus en plus escarpés. Les animaux et la beauté du paysage ralentissent notre route. Le soir, on arrive au refuge et la saucisse au barbecue accompagnée des étoiles du ciel austral est extrêmement goûteuse. Le lendemain, debout à 6h30, et hop, marche jusqu’au plus haut point possible situé au pied des tours de la montagne. C’est dur, mais c’est bon et c’est beau. On revient au bateau, tard le soir, et avec un moral de vainqueurs.

5. Cependant, sans cracher dans notre soupe, on déchante bien vite, de nouveau. A notre retour, on apprend d’abord que le départ est reporté à mardi, puis mercredi, puis jeudi. Cette fois-ci, on ignore les raisons du report du départ. On craint très fort l’annulation de la campagne. Aujourd’hui c’est la fête nationale chilienne. Il fait magnifique à Punta Arenas. Mais sur le NB Palmer, il y a un microclimat. Aujourd’hui, le ciel au-dessus de nos têtes, le gris de la lassitude prend le dessus. Je prie Dieu à chaque instant pour que la prochaine fois que je touche mon clavier pour le blog, je vous annonce notre départ immmmminent. En attendant, je vous prie d’agrée l’expression respectueusement distinguée de mes salutations australes, polies, recourbées et associées à moult marques de cordialité chaleureuses et interminables. Portez-vous bien.

Martin