dimanche 23 septembre 2007

Simba - Passage de Drake (un peu plus loin : 58.37S, 80W).

Dimanche 23 septembre


Bonjour à tous !... Je profite de l'entre deux vagues pour reprendre la plume à Bruno, Martin, Fred, Gauthier et les autres un instant, le temps de vous répondre à la question existentielle qui flotte certainement sur toutes vos lèvres depuis un certain temps: «Mais que diantre vont-ils faire dans cette galère ?!?». Nous reviendrons certainement en détail sur ces propos lorsque l'action battra son plein d'ici quelques jours, mais nous vous devons je crois quelques mots d'explications sur le pourquoi etl es principales motivations de notre expédition. Le moment idéal pour déployer la «toile de fond» !
Il s'agira ici d'étudier le comportement de la banquise australe, que l'on appelle aussi parfois glace de mer, car elle résulte du gel de l'eau océanique en surface, à l'opposé des calottes glaciaires, qui elles résultent de l'empilement (et de la compaction en glace) des précipitations neigeuses qui tombent sur le continent au fil des ans. La couverture de banquise antarctique oscille chaque année entre 4 et 20millions de km², et double ainsi la surface couverte de glace de l'Antarctique au maximum de son extension. Une telle superficie, et une telle amplitude saisonnière, font de la banquise antarctique un acteur potentiel des variations du climat à plus d'un égard. Son rôle le plus connu du grand public est probablement celui d'une gigantesque surface réfléchissante (albédo élevé) pour le rayonnement solaire incident, en comparaison de la faible réflexion (forte absorption) qui caractérise l'océan ouvert (albédo faible). Mais il en existe plusieurs autres tels que : la formation des eaux océaniques profondes antarctiques (un des moteurs principaux de la circulation thermohaline globale, ce «tapis roulant» océanique qui fait le tour de la Terre et participe au transfert de l'excédent de chaleur de l'équateur vers les pôles) ; la stabilisation de la couche océanique de surface lors de la fonte saisonnière (la glace de mer est en effet plus pauvre en sel - en moyenne 6 grammes par kilo de glace - que l'eau de mer - environ 34 à 35 grammes de sel par litre d'eau, son eau de fonte « flotte» ainsi sur l'eau de mer) favorisant les efflorescences (croissance accélérée) des algues phytoplanctoniques et par là, la pompe du dioxyde de carbone (CO2) et la libération de dimethylsulfure (DMS), deux gaz à effets climatiques reconnus ; le contrôle deséchanges gazeux entre l'océan et l'atmosphère. Ce sont ces deux derniers effets qui constituent le principal objectif de recherche des projets ARC (Action de Recherches Concertées de la Communauté Française de Belgique :SIBClim : Sea Ice Biogeochemistry in a Climate change perspective - ULB) et FRFC (Fonds de Recherche Fondamentale Collective : BASICS in IPY -Biogeochemistry of Antarctic Sea Ice and the Climate System under the International Polar Year- ULB, ULg, UCL) dans le cadre desquels se déroulela présente mission.
L'expédition du brise-glace N.B. Palmer (SIMBA - Sea Ice Mass Balance in Antarctica) est ainsi la première mission Antarctique réalisée sous les auspices de l'Année Polaire Internationale (API-IPY) qui emmène à son bord un groupe pluri-universitaire (ULB, ULg, UCL) de 9 scientifiques belges (sur un total de 33), dont 6 doctorants (FRIAs, FNRS, PSF, tous les jeunes sur les photos !)...Aie, aie, aie, "la foire aux acronymes" un mal dont la Science se serait bien passée !...Je vous tuyaute : API = Année Polaire Internationale = IPY = International Polar year 2007-2009 ; ULB =Université Libre de Bruxelles ; ULg = Université de Liège ; UCL =Université Catholique de Louvain ; FRIA = Fonds pour la Recherche dans l'Industrie et l'Agronomie ; FNRS = Fonds National de la Recherche Scientifique ; PSF = Politique Scientifique Fédérale.
SIMBA, un projet mené tambour battant par Steve Ackley (un chercheuraméricain de renommée internationale qui s'intéresse de longue date à la glace de mer), a pour but essentiel d'étudier ce qu'on appelle le « bilan de masse » de la glace de mer antarctique. En d'autres termes, il s'agit d'estimer la balance entre la masse de glace fondue et la masse de glace créée chaque année... Pour ce faire il est important de mesurer à la fois la surface couverte par la glace et l'épaisseur de celle-ci, qui peut varier de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres, suivant les processus impliqués. Les progrès techniques des dernières années nous ont amenés à pouvoir espérer obtenir ces données à l'aide des données récoltées par les satellites d'observation qui gravitent autour de notre globe,mais nous n'en sommes pas encore tout-à-fait là, surtout pour les mesures d'épaisseurs de glace. Il est donc nécessaire de «calibrer» etde «valider» les données satellitaires par des observations de terrain, c'est l'objectif de SIMBA. Nous placerons en effet, au cours de notre séjour, des bouées « bilan de masse » sur la glace, qui retransmettrons, par voie satellitaire également , les variations d'épaisseur de la glace au cours du temps sur, nous l'espérons, plus d'un an et demi. Ces mêmes bouées, et d'autres encore (dont une première financée par la PSF) que nous répartirons sur notre trajet, nous permettront également de suivre les déplacements de la glace à grande échelle et sur de longues distances (GPS : vous connaissez ?), aidant ainsi à valider (vérifier leur exactitude) ces fameux modèles mathématiques qui prédiront l'évolution de la glace de mer dans les siècles (potentiellement plus chauds !) à venir. Vous avez certainement tous à l'esprit combiencette réduction a été importante pour la banquise arctique (hémisphère nord !), avec un nouveau record d'extension minimale cette année. La banquise antarctique est encore globalement plus ou moins stable à cause de sa taille et de son relatif isolement, mais son recul ne saurait tarder!...Ah oui! j'oubliais! vous en avez déjà entendu parler, nos amis Mike et Blake ont «customisé» un kayak de compétition équipé d'un altimètrelaser et d'un émetteur récepteur d'ondes électromagnétiques sensible à la conductivité électrique de la glace et de l'eau de mer. Celui-ci peut-être soit suspendu à 3 mètres au-dessus de la glace lorsque le bateau se déplace, soit trainé à la force des poignets sur la glace et nous donne avec une précision de quelques centimètres (quand tout fonctionne bien !) l'épaisseur de glace, cool, non ?
OK! mais la biogéochimie de la glace de mer dans tout cela ?... j'y arrive. La glace de mer ne ressemble en rien à la glace de glacier (que vous avez peut-être déjà croisée dans votre vie au cours d'un périple en montagne), elle résulte en effet du gel de l'eau de l'océan, et non de la transformation des chutes de neige en glace sous l'effet de la pression. Elle ne ressemble pas non plus aux glaçons que vous fabriquez dans votre réfrigérateur, ou à ceux qui couvrent la surface du lac près de chezvous, puisque ceux-ci sont formés à partir d'eau douce. Lorsque l'eau de mer gèle (ce qui peut lui arriver de plusieurs manières, nous le verrons plus tard !), elle enferme en son sein des petites inclusions de saumures (eau salée) qui forment ce qu'on appelle des poches, tubes ou chenaux de saumures, en fonction de leur géométrie. Ceux-ci peuvent être connectés entre eux, lorsque la glace est moins froide (<-5°C, en premièreapproximation) et donc très poreuse, ou au contraire isolés les uns des autres, la glace étant alors imperméable. Ces inclusions de saumures sont cruciales, car c'est en leur sein que vont se fixer les microorganismes (du micron au millimètre) qui vivent au sein de la glace de mer : microalgues, consommateurs secondaires, bactéries, et ce en très grand nombre. Ainsi les concentrations en algues dans la banquise peuvent atteindre plusieurs centaines de microgrammes par litre, alors qu'elles ne sont que d'une fraction de microgramme par litre dans les eaux océaniques de surface. La glace de mer joue donc un rôle primordial de refuge et d'ensemencement (lors de la fonte de printemps et d'été) des eaux océaniques polaires de surface. Or, ces algues sont des végétaux, elles réalisent donc la photosynthèse, au cours de laquelle elles prélèvent le dioxyde de carbone dissous dans l'eau, dont le carbone sert de base à la fabrication de leurs cellules. Elles constituent donc un puits potentiel de CO2, dont ne connaissons pas encore l'amplitude. Mais rappelez-vous, 20millions de kilomères carrés tous les ans !...Par ailleurs, les conditions difficiles de survie dans une glace qui peut descendre à -25°C et dans des saumures qui peuvent alors atteindre des salinités qui valent plus de dix fois celle de l'eau de mer, ont mené à des adaptations particulières de ces algues. Elles produisent par exemple des composés sulfurés qui seront plus tard libérés dans l'atmosphère et joueront un rôle opposé à celui du dioxyde de carbone sur l'augmentation de température globale, mais une chose à la fois, Frédéric vous en parlera certainement plus en détail plus tard. Une des activités principales de notre mission sera donc un suivi temporel d'environ un mois de deux stations de glace de mer aux caractéristiques contrastées du point de vue de leur propriétés physiques,chimiques et biologiques. Ces mesures nous permettront de mieux comprendre la dynamique de cet écosystème complexe et méconnu, et de mesurer l'impact potentiel qu'il peut avoir sur la régulation du climat. Le but ultime sera de mettre au point un modèle mathématique qui tentera de reproduire au mieux le fonctionnement de ce milieu et d'intégrer son impact sur le climat à l'échelle du globe. C'est pour cela que nous avons Martin avec nous, un jeune modélisateur hors pair de l'équipe de renommée internationale de l'Institut d'Astronomie George Lemaître de l'UCL. Ce qui m'amène à la présentation du reste de l'équipe belge : Isabelle etFlorence (ULB) étudieront les processus biologiques (en collaboration avec le Dr. Chris Fritsen du Desert Research Institute, Reno, Nevada) ; Jeroen et Florence (ULB) s'intéresseront au fer (un élément mineur limitant potentiellement l'activité alguaire) dans la glace et dans l'eau ; Bruno (ULg), Nicolas Xavier (Nix, ULg), Gauthier (ULB, University of Manitoba, Canada) mesureront les concentrations et les flux de CO2 dans et hors de la glace ainsi que dans l'eau (en collaboration avec notre collègue canadien Keith Johnson, Institute of Ocean Sciences, Fisheries and Oceans, Canada) ; Fredéric (ULB, ex-FUSAGx : Faculté Universitaires des Sciences Agronomiques de Gembloux) dosera les composés sulfurés dans la glace (dimethylsulphide, dimethylsulphoniopropionate). Pour ma part, en plus de la coordination de l'ensemble, je participerai aux mesures du CO2 et des composés sulfurés dans la glace et je me chargerai de la mesure des variables physiques et chimiques de base dans la glace : températures, salinité, isotopes stables de l'oxygène (nous reviendrons sur cet energumène plus tard, pas de panique !) et structure cristallographique de la glace (en collaboration avec Steve Ackley, chef de mission etProfesseur à l'Université de San Antonio, Texas). Hé bien voilà !...à présent, place à l'action !...
A propos, une petite innovation pour ceux qui nous suivent régulièrement et qui sont candidats au «pôle passport» régulièrement une question ou une affirmation à confirmer ou infirmer en justifiant, histoire de garder l'esprit en éveil :
Q1 : «la banquise constitue une des sources d'eau potable les plus importante au monde, des projets audacieux ont même tenté d'en remorquer de grandes quantités vers les régions désertiques du globe» Vrai ou Faux?... Justifier.


A très bientôt, et merci de votre fidélité !

Jean-Louis.


En dessous le « clean » container




mercredi 19 septembre 2007

Simba - Come back to the ice

Mercredi 19 septembre

Un court mais important update.
Cette fois c'est sûr, nous repartons vers la glace, Jeudi vers 9 heures. Nous avons tous été réunis ce matin pour nous l'annoncer officiellement. Tous les test de la qualité de l'air ont été négatifs (ce qui veux dire que l'on peut respirer l'air à bord du navire sans problèmes). Le retour à Punta Arenas se fera le 31 octobre (pas septembre) dans l'après-midi ou au soir, comme prévu initialement. Nous allons foncer vers la glace (sur quatre moteurs au lieu de deux) et plus à l'est que prévu, afin de gagner du temps. Nous devrions toucher la glace Lundi prochain en première approximation, peut-être plus tôt, et pour l'instant Neptune semble toujours être de notre coté pour cette troisième traversée du passage de Drake.
En ce qui concerne les e-mails, il semble que nous nous rapprochons de la solution et nous devrions y avoir accès (le corollaire est que le blog pourra être mis à jour), mais ce n'est pas garanti à 100%.
Voilà, c'est reparti, en accéléré et avec les moyens du bord, mais le plus important ce que nous y retournions.

Bruno

mardi 18 septembre 2007

Simba - Les couleurs de l’arc-en-ciel


Punta Arenas, le mardi 18 septembre.

Après un long temps d’absence, je l’admets, me revoici derrière mon clavier d’ordinateur pour communiquer avec le monde par la voie virtuelle. Il faut dire que notre humeur à tous ici est passée par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Voici un long résumé de notre parcours en zig-zag.

1. Le soir où nous avons posté toute l’info sur le blog depuis Palmer Station, on nous a rassemblé brusquement devant un grand écran connecté par vidéo conférence avec Denver. Deux types de la boîte privée qui s’occupe de la logistique à bord nous ont annoncé que pour raisons sanitaires nous devions rentrer à Punta Arenas. Ce qui a d’un coup dégonflé le ballon du moral des troupes. Pfffiout. Rentrer à Punta Arenas, ça veut dire amputer la science d’un gros morceau. Ou peut-être se voir dire progressivement, pour ne pas brusquer nos petits cœurs délicats et émotifs et enclins à la révolte, que la campagne est tout simplement annulée. Les magnifiques paysages englacés du retour ont un goût amer, voire presque acide.

2. Cependant, un jour n’est pas l’autre, et progressivement, sur le trajet du retour, bercée par la houle exceptionnellement paisible de l’Océan Austral, la flamme de l’espoir s’est peu à peu ravivée. Cette flamme est revigorée par les rumeurs déformées des coups de fils de notre chef scientifique Steve Ackley avec les hautes sphères de décision situées 5000, peut-être 10000 km plus haut, sur l’autre hémisphère, à Denver, USA. On parle de nettoyer le bateau au plus vite, de rallonger la campagne de 10 jours, de sorte que rien de notre science n’en sera affecté. Mais l’information qu’on reçoit est floue, brouillardeuse, et ce flou imprègne l’humeur globale de l’équipage. La fin de la traversée, longeant la côte Est de l’Argentine, se déroule dans un calme paisible. La confiance de certains se mélange avec la lassitude des uns et l’incertitude des autres.

3. Il y a quelques jours, je ne sais plus exactement quand, on est finalement arrivés à Punta Arenas. La fougue à l’idée d’arriver à terre est bien vite retombée. Il n’y a pas de place au port et il faut encore attendre un jour de plus pour mettre pied à terre. Mais quelques hommes de Denver arrivent bientôt à bord du bâteau, avec un bâton de parole qui devrait dissiper notre situation brumeuse… On nous réunit vers 16h dans la salle de conférence, ce qui n’était plus arrivé depuis quelques jours. On nous dit : « Il faut nettoyer, voici Mr X expert en gestion de feu sur bateaux, qui va s’occuper de votre cas. Il s’y connaît très bien. Il dit que ça n’a pas l’air trop grave. Il prend ses échantillons d’air, pour en évaluer la qualité, demain à la première heure. On les envoie directement dans un labo de Santiago, où ils seront analysés en triple vitesse. Mais il ne fait aucun doute que ça ira bien, et vite. D’ici deux jours, ou peut-être trois, vous devriez pouvoir repartir. »

4. Tout le monde reprend confiance et est heureux. Mais bien vite, l’info floue, communiquée par rumeur plutôt que par voie officielle, que les échantillons doivent partir à Mexico plutôt qu’à Santiago, circule. Ce qui reporte le départ minimum au lundi plutôt qu’au vendredi. Histoire d’enrayer le enième pffff de désespoir, tous les belges et le hollandais, sauf Jean-Louis et Bruno (pour des raisons de travail), plus quelques américains, partent au Parc National de Patagonie « Torres del Paine », pour deux jours. On part très tôt le matin samedi dans deux Fiat, une grise et une blanche, pour manger la route depuis Punta Arenas jusque Puerto Natales, située à 250 km au nord. Il fait très beau, ce qui est extrêmement rare, paraît-il. Les paysages sont désolés et magnifiques. A la fin de la journée, on roule jusqu’au parc à travers piste sillonnant des reliefs volcaniques de plus en plus escarpés. Les animaux et la beauté du paysage ralentissent notre route. Le soir, on arrive au refuge et la saucisse au barbecue accompagnée des étoiles du ciel austral est extrêmement goûteuse. Le lendemain, debout à 6h30, et hop, marche jusqu’au plus haut point possible situé au pied des tours de la montagne. C’est dur, mais c’est bon et c’est beau. On revient au bateau, tard le soir, et avec un moral de vainqueurs.

5. Cependant, sans cracher dans notre soupe, on déchante bien vite, de nouveau. A notre retour, on apprend d’abord que le départ est reporté à mardi, puis mercredi, puis jeudi. Cette fois-ci, on ignore les raisons du report du départ. On craint très fort l’annulation de la campagne. Aujourd’hui c’est la fête nationale chilienne. Il fait magnifique à Punta Arenas. Mais sur le NB Palmer, il y a un microclimat. Aujourd’hui, le ciel au-dessus de nos têtes, le gris de la lassitude prend le dessus. Je prie Dieu à chaque instant pour que la prochaine fois que je touche mon clavier pour le blog, je vous annonce notre départ immmmminent. En attendant, je vous prie d’agrée l’expression respectueusement distinguée de mes salutations australes, polies, recourbées et associées à moult marques de cordialité chaleureuses et interminables. Portez-vous bien.

Martin