mercredi 12 décembre 2007

CFL: Stations, aurores et DMS

CFL – Circumpolar Flaw Lead 2007-2008 Leg 4B


Banks Island - Amundsen Gulf N 71°25.335 W 125°58.326 , 12 décembre 2007


Trois heures. Trois heures de pénombre, trois heures durant lesquelles quelques timides rayons de soleil viennent caresser l'horizon, colorant le ciel de teintes orangées et bleutées. Trois heures de clarté, voilà ce qu'il nous reste. La nuit polaire progresse en effet inexorablement, avalant chaque jour un peu plus de lumière. Mais qu'importe, projecteurs du bateau et lampes frontales nous permettent d'affronter les ténèbres, nous octroyant quelques heures supplémentaires de travail.
Reste le froid. -20°C en moyenne, 5 degrés supplémentaires les jours de beau temps. Manipuler les instruments métalliques et la glace devient un vrai supplice dans ces conditions, les mains engourdies réduisant considérablement cette maniabilité qui fait notre force. Mais l'entraide existe, prenant même tout son sens au-delà des cercles. Une équipe, une équipe soudée, voilà peut être la meilleure arme contre les infortunes et les difficultés des pôles.
On jure, on enrage inutilement contre le blizzard, ce satané vent qui pour la troisième fois de la journée emporte un sac plastique laissé en dehors de nos caisses par inadvertance, nous obligeant à une course effrénée pour le rattraper. On maudit ensuite la glace, qui vient bloquer les connections de nos machines, ou encore la neige qui réduit la visibilité. Puis soudain on se redresse, on prend quelques minutes pour regarder autour de soi, quelques instants pour contempler toute la magnificence du paysage qui s'offre à nos yeux. Rien n'est gratuit, et tant de beautés ne sont finalement pas très cher payées…
Exemple de beauté, une aurore boréale est venue accompagner notre navire toute au long de la nuit précédente. Mélange de coloris blancs et verts ondulant dans le ciel, formes magiques et envoûtantes, les aurores résultent de l'interaction entre des particules chargées composant le vent solaire et l'atmosphère terrestre.



Après ces quelques paragraphes retranscrivant au mieux je l'espère l'environnement de travail si particulier que constitue la banquise, je vais brièvement vous introduire l'un de nos sujets d'étude dans ce projet, le DMSP et le DMS.
Que sont exactement le DMS et le DMSP ?
Le DMSP, ou dimethylsulfoniopropionate est un composé soufré organique produit par certaines espèces d'algues. Ces algues, que l'on retrouve aussi bien dans l'eau de mer que dans la glace de mer, sécrètent le DMSP dans leurs cellules afin de lutter contre des changements de température ou de salinité du milieu qui pourraient les endommager. Lorsqu'il n'est plus utilisé ou lors de la mort de la cellule par exemple, le DMSP est rejeté dans le milieu environnant de l'algue. Il est alors transformé par des bactéries en un gaz, le DMS ou dimethylsulfure.
Pourquoi les scientifiques sont-ils intéressés par le DMS ? Le DMS gazeux contenu dans la glace ou dans l'eau de mer peut par des processus de diffusion être émis vers l'atmosphère et agir comme noyau de condensation pour les nuages (petite particule facilitant la formation des nuages). Ces nuages vont à leur tour réfléchir l'énergie lumineuse provenant du soleil, diminuant ainsi le réchauffement de la Terre. En résumé, plus il y a de DMS libéré dans l'atmosphère, plus de nuages peuvent être formés et plus la part d'énergie réfléchie sera importante (ce que l'on appelle l'albédo). Certains scientifiques ont même présenté l'hypothèse que les émissions naturelles de DMS contrebalançaient sensiblement les émissions de dioxyde de carbone (CO2), amortissant ainsi d'une certaine manière le réchauffement de la Terre.
Pourquoi mesure-t-on le DMS dans la glace de mer ? Les communautés d'algues qui y vivent sont soumises à de plus grands changements de température et de salinité que dans l'eau de mer. Les premières mesures effectuées sur la glace de mer ont ainsi montré des concentrations en DMSP beaucoup plus importantes que dans l'eau de mer. Ces fortes concentrations, intégrées sur les immenses surfaces d'eau recouvertes par la glace et présentant des changements saisonniers prononcés (alternance de cycles de formation et de fonte), peuvent donc apporter une quantité significativement élevée de DMS à l'atmosphère.
Tout au long de la mission CFL, Frédéric et moi-même allons mesurer les concentrations en DMS et DMSP dans la glace de mer, depuis les premiers stages de formation de la glace jusqu'au épisodes de fonte au printemps. Nous obtiendrons alors une série temporelle relativement complète et une meilleure idée de l'évolution de ces composés.


Gauthier Carnat


Quelques liens intéressants :
Le site canadien officiel de la mission : http://www.ipy-cfl.ca/
Diaporama réalisé par une journaliste américaine lors de ces dernières semaines : http://www.grist.org/feature/2007/12/13/grossman/index.html