lundi 1 octobre 2007

Simba - Ice Station Belgica : 110 ans plus tard

1er Octobre, Ice station Belgica

C’est avec beaucoup de fierté que nous vous annonçons en ce 1er octobre 2007 la naissance de notre « process station » (ou station d’étude des processus temporels). Malgré une grossesse d’un mois plutôt difficile remplie d’émotions fortes, l’accouchement s’est relativement bien passé puisqu’il n’a fallu qu’un jour au père (Jean-Louis) et à la mère (Bruno - désolé il fallait bien choisir l’un d’entre vous pour compléter cette métaphore ;)) pour trouver un terrain d’entente. Ses nombreux parrains et marraines assisteront les parents durant les 24 prochains jours, lui apportant tous les soins nécessaires pour assurer de bons résultats dans le futur. Le baptême vient d’avoir lieu, notre station portera le doux nom de « Ice Station Belgica ».

« Ice Station Belgica », c’est avec un peu d’audace (9 icebergs belges perdus au milieu d’un océan américain) mais surtout avec beaucoup de fierté que nous avons réussi à imposer ce nom pour le morceau de banquise qui nous servira de laboratoire à ciel ouvert pendant toute la durée du prochain mois. Belgica c’est avant tout la bannière qui nous rassemble (Belges du nord, du centre, du sud, Néerlandais et même Perpignanais ; quelle union improbable mais qui fonctionne cependant à merveille et toujours dans la bonne entente, comme quoi!). C’est aussi le nom d’un illustre ancêtre, celui d’un bateau, d’une expédition qui marqua les premiers temps des aventures polaires modernes et qui aujourd’hui encore reste gravé dans nos mémoires comme peut-être l’un des plus bels exploits belges. Cet exploit c’est celui du capitaine Adrien de Gerlache, de son navire la Belgica et de son équipage. Laissez-nous vous le compter.

L’histoire commence à la fin du 19ième siècle. Un ancien étudiant en polytechnique de l’Université Libre de Bruxelles, Adrien de Gerlache, décide de mettre sur pied une expédition vers l’Antarctique, la première sous pavillon belge. C’est dans un contexte scientifique international résolument tourné vers l’exploration de l’Antarctique et de l’océan Austral (la charnière entre le 18ième et le 19ième siècle concentrant la plupart des grandes expéditions et découvertes du continent blanc ; la course au pôle sud de Scott et Amundsen, les nombreux périples de Shackleton, l’hivernage de Borchgrevink) que de Gerlache tente de réunir l’argent nécessaire pour son projet. Après quelques souscriptions et l’organisation de nombreux événements pour récolter des fonds, les 300000 Fb (de l’époque) sont collectés et l’expédition est financièrement prête à être mise sur pied. Reste encore à trouver le navire et l’équipage. Adrien de Gerlache rachète ainsi un trois mâts de pêche norvégien pour 50000 couronnes et le rebaptise Belgica. Le navire possède une coque renforcée par des bandes de fonte, ce qui lui offre une meilleure résistance aux chocs de la glace. Ses dimensions sont assez modestes, 34,6 m de long pour 7,5 m de large (en comparaison, le Nathaniel B. Palmer, l’hôte de notre expédition, mesure 93,8 m de long pour 18,2 m de large). L’équipage du bateau sera quant à lui cosmopolite aussi bien au niveau des horizons professionnels que de la nationalité. On retrouvera ainsi à bord un géologue polonais (Arctowski), un physicien du globe (Danco), un photographe et médecin américain (Frédérick Cook), un zoologue et botaniste roumain (Racovitza) et même le célèbre explorateur norvégien Amundsen. L’orientation de la mission est définitivement scientifique, en témoigne la grande quantité de matériel emporté à bord.

Le 16 août 1897, à huit heures du matin, tout est fin près et la Belgica quitte le port d’Anvers direction l’Antarctique. L’objectif initial de la mission est la reconnaissance de la mer George V. Après cela, de Gerlache planifie d’hiverner sur la Terre Victoria avec trois de ses compagnons, laissant la Belgica se réapprovisionner à Melbourne. Il en sera tout autrement.

Mis à part la mort tragique d’un jeune matelot (Auguste-Karl Wiencke) par noyade lors d’une tempête, le début de l’expédition se passe relativement bien et dès le début de l’année 1898 l’équipage de la Belgica entame l’exploration des côtes de la péninsule Antarctique (on retrouve la trace de ces découvertes dans la toponymie des lieu - détroit de Gerlache ou encore île d’Anvers sur laquelle, pour l’anecdote, se trouve la base américaine Palmer dans laquelle nous avons fait une halte après l’incendie sur le bateau). Les scientifiques à bord prélèvent également de nombreux échantillons et multiplient les mesures. Biologie, géologie, météorologie, pas une science naturelle n’est épargnée.

C’est le 18 février 1898 que l’expédition va réellement se transformer, contre la volonté du capitaine (quoique !), en épopée héroïque. S’engouffrant dans une large zone d’eau libre dans la banquise, de Gerlache tente d’amener la Belgica un peu plus vers le sud. Cependant, dès le 5 mars 1898, le navire est bloqué par les glaces par 70° de latitude. Si la puissance motrice actuelle des plus grands brise-glaces (plus de 12000 chevaux pour le Nathaniel B. Palmer) et le poids de ceux-ci leur permettent sans trop de difficultés de se dégager d’une banquise épaisse de plus d’1 m, il en va tout autrement pour un voilier du 19ième siècle beaucoup plus léger. La Belgica prise par la glace, l’équipage est donc condamné à hiverner dans la banquise Antarctique, une première dans l’histoire. Une première mais dangereuse à de nombreux points de vue. Le navire disposant de suffisamment de combustibles et de nourriture pour l’ensemble de l’hiver, ce n’est pas vraiment la faim et le froid qui menace les hommes mais d’autres périls plus pernicieux. Ainsi, la banquise en continuel mouvement peut venir briser la coque par la pression qu’elle exerce sur celle-ci, soumettant l’équipage à un abandon du navire peu enviable (c'est ce qui arriva quelques années plus tard à l'Endurance de Shackelton). L’autre principal danger concerne la santé physique et mentale des hommes qui se dégrade au fur et à mesure des longues heures de nuit polaire. Alors, pour garder les troupes actives, de Gerlache organise toutes sortes d’activités. Depuis les mesures scientifiques quotidiennes jusqu’aux excursions sur la glace en passant par les inévitables travaux de déblayage de la neige, tout est mis en oeuvre pour lutter contre le marasme et la dépression. Malgré toutes les précautions alimentaires et sanitaires, Emile Danco, l’ancien lieutenant d’artillerie reconvertit en physicien, décède d’une affection cardiaque.

En janvier, alors que la glace se réchauffe et après un peu plus de 10 mois passés dans la glace, l’équipage entrevoit enfin un échappatoire avec l’apparition d’une zone d’eau libre à environ 600 m du navire. Il n’en faut pas moins pour que de Gerlache décide d’attaquer la banquise à l’aide de coups de pioche, de dynamite et de scies pour libérer la Belgica et la rendre à son élément naturel. Et ça marche ! Après 2 mois d’efforts soutenus, le trois mâts est enfin libre et peut à nouveau voguer de zones d’eau libre en zones d’eau libre vers l’océan. Ce n’est qu’une année plus tard, le 5 novembre 1899 que l’expédition se termine enfin. De retour dans le port d’Anvers, la Belgica est acclamée par les nombreux badauds venus admirer et féliciter ces nouveaux héros.


Tout au long de leur périple, les hommes de de Gerlache auront collecté des quantités phénoménales d’échantillons divers, effectué de nombreuses mesures et apporté à la science un set d’observations météorologiques complet durant une année entière.En ce moment, le destin ou le hasard, appelez le comme vous le voulez, a placé notre navire à quelques kilomètres seulement de l’endroit où la Belgica effectua son héroïque hivernage. Se sentir si proche spatialement d’Adrien de Gerlache et de ses hommes remplit nos coeurs d’émotion et nous offre une belle occasion de débuter cette année polaire internationale en mettant une fois de plus les couleurs de notre pays aux premières places de la grande aventure antarctique. Intéressé ?

Gauthier

Je tiens à remercier Claude De Broyer, chercheur à l’Institut des Sciences Naturelles, pour l’accès à sa documentation et sa disponibilité